Haute Cour de Justice : Le réquisitoire qui enfonce davantage Ismaïla Madior Fall
Cheikh Guèye, directeur de la société TCS, et l’ancien directeur des Constructions du ministère de la Justice, Mohamed Anas El Bachir Wane, ont été placés sous mandat de dépôt hier, lundi. En toile de fond de cette affaire de corruption d’une gravité extrême, la justice resserre l’étau autour de l’ex-ministre Ismaïla Madior Fall, convoqué ce matin devant la commission d’instruction de la Haute Cour de justice. Selon L’Observateur, cette convocation marque un tournant décisif dans une enquête qui pourrait ébranler les plus hauts sommets de l’appareil judiciaire.
Le procureur Saliou Dicko n’y est pas allé de main morte. Le maître des poursuites, chef du parquet de Pikine-Guédiawaye, a dégainé un réquisitoire incandescent pour saisir le juge d’instruction du deuxième cabinet. D’après les informations rapportées par L’Observateur, Cheikh Guèye, patron de la société Technologie Consulting Service (TCS), et Mohamed Anas El Bachir Wane sont accusés d’avoir orchestré un système de fraude au cœur du ministère. Le ton est donné dès les premières lignes de l’acte d’accusation. Le procureur ne se contente pas de solliciter un mandat de dépôt, il aligne, comme des charges explosives, une série d’infractions lourdes : association de malfaiteurs, escroquerie, escroquerie portant sur des deniers publics, corruption, faux et usage de faux, blanchiment de capitaux. Cette avalanche de chefs d’accusation donne la mesure de la tempête judiciaire qui s’annonce.
D’après les révélations de L’Observateur, cette affaire porte principalement sur l’assiette foncière du Tribunal de Pikine-Guédiawaye, dans laquelle l’ancien ministre Ismaïla Madior Fall est cité à plusieurs reprises. Lorsque les nouveaux locaux du Tribunal de grande instance ont été relogés sur la VDN, le procureur de la République, Saliou Dicko, a été saisi par les membres du collectif Baïdy Seye. Ce collectif, détenteur d’un lotissement voisin du terrain du tribunal, a fait savoir que le site se déplaçait dangereusement vers leur zone. L’Observateur rapporte que c’est à la suite de cette alerte que le procureur a saisi la Division des investigations criminelles (DIC).
Les investigations ont été menées par la Brigade des affaires criminelles, dirigée par le commissaire Cheikh Sadibou Diallo. Selon une note consultée par L’Observateur, la superficie initialement affectée à la construction du palais de justice était de 2 ha 85 a 14 ca. Plusieurs projets y étaient prévus : un centre de surveillance électronique, un centre de casiers judiciaires, un centre médico-social. Pour les réaliser, il fallait un promoteur. Sur proposition du ministre Ismaïla Madior Fall, le choix s’est porté sur Cheikh Guèye, qui a obtenu un protocole d’accord pour bâtir le centre de surveillance de bracelets électroniques sur 2 075 m², contre une dation en paiement d’un terrain de 9 598 m².
Lors de son audition, Cheikh Guèye a reconnu avoir signé ce protocole d’accord avec le ministre pour un montant de 576 millions FCFA. En contrepartie, il devait recevoir une parcelle de 9 430 m², selon ses propos recueillis par L’Observateur. Il précise que l’ancien directeur des Domaines, Mamadou Guèye, lui a remis le bail en juin 2023. Toutefois, son dossier a été rejeté par la Commission de Contrôle des Opérations Domaniales (CCOD) en mai 2023, car aucun document officiel n’avait été fourni. Toujours selon L’Observateur, Cheikh Guèye affirme que tous les documents ont été préparés par le ministre et son directeur des Constructions, Mohamed Anas El Bachir Wane.
Plus troublant encore, L’Observateur indique qu’en septembre 2023, Cheikh Guèye a reçu un message du ministre lui annonçant l’annulation de son bail, sans qu’aucune notification officielle ne lui soit transmise. Durant l’enquête, Cheikh Guèye a également révélé que pour bénéficier de ce protocole, le ministre Ismaïla Madior Fall lui avait réclamé une somme de 250 millions FCFA. Il aurait alors remis un acompte de 50 millions FCFA en espèces, dans le bureau du ministre, en présence de Mohamed Anas El Bachir Wane. Quelques semaines plus tard, le ministre aurait exigé le solde, ce que Cheikh Guèye aurait refusé au vu des lenteurs administratives. Finalement, le ministre aurait restitué les 50 millions FCFA.
Face à ces accusations, Ismaïla Madior Fall a livré sa version dans l’émission « Face à MNF » sur 7TV. Il y a reconnu avoir envisagé un projet de centre de surveillance électronique, sans pour autant s’attendre à être cité dans une affaire de corruption. Selon ses propos repris par L’Observateur, il avait identifié un terrain de 8 000 m² à Guédiawaye, dont 1 000 m² devaient être affectés au projet. Il évoque un paiement partiel par dation, faute de liquidités, à hauteur de 150 à 200 millions FCFA. Il ajoute qu’il ne connaissait pas personnellement Cheikh Guèye et que c’est Mohamed Anas El Bachir Wane qui l’avait mis en relation avec ce dernier.
Toujours selon L’Observateur, Ismaïla Madior Fall explique qu’après la signature du protocole, les travaux n’ont pas avancé. Il aurait alors appris que le promoteur avait gagé le terrain à une banque. C’est à ce moment qu’il aurait décidé d’annuler le bail, mesure qu’il dit avoir concrétisée. Mais entre-temps, il a quitté le ministère de la Justice pour celui des Affaires étrangères, et Me Aïssata Tall Sall lui a succédé. Lorsqu’elle a informé l’entrepreneur de l’annulation du projet, celui-ci lui a déclaré avoir versé 50 millions FCFA à l’ancien ministre. Ce dernier affirme, dans des propos rapportés par L’Observateur, n’avoir jamais accepté d’argent et avoir refusé cette somme « diplomatiquement ».
Ce dossier explosif, qui alimente désormais la chronique judiciaire, continue de faire couler beaucoup d’encre. Selon L’Observateur, l’évolution de l’affaire devant la Haute Cour de Justice pourrait impliquer d’autres acteurs du ministère et révéler des pratiques endémiques dans la gestion des projets publics. La justice semble déterminée à aller au fond des choses, quels que soient les titres ou les fonctions des mis en cause.
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